Requiem pour un Paris brisé

Article : Requiem pour un Paris brisé
Crédit: Pixabay
30 janvier 2023

Requiem pour un Paris brisé

Ce blog est vieux de plus de cinq ans, mais c’est seulement maintenant que j’y écris mes premiers mots. Et s’il me fallait publier un premier texte, ce serait forcément celui par lequel toute mon aventure Mondoblog a commencé. Souvenirs de Remontada, le come-back Barça vs Paris de 2017 vu d’Abomey-Calavi.

Au soir de la Saint-Valentin, l’amour avait élu Paris comme prince charmant. Quatre baisers brûlants sur les joues enflammées de la fiancée Barcelone, et le ciel des quarts de finale de la Ligue des Champions semblait promis au club français. L’histoire était de son côté, les chiffres aussi. En 213 matchs, autant de qualifications dans les coupes d’Europe chaque fois qu’un club a mené 4-0 au match aller. Que pouvaient bien craindre ces Gaulois dans des conditions pareilles? Rien, seulement que le ciel leur tombât sur la tête. Et c’est ce qui arriva, par Toutatis ! En huitième de finale retour, revers historique 6-1 au Camp Nou et une élimination à la clé. A Abomey-Calavi au Bénin, tout le village universitaire en trembla.


En cette soirée de mercredi, la touffeur était excessive à Mamanto Foot, petit vidéoclub de quartier établi aux abords du campus universitaire voisin. Depuis longtemps, ce petit commerce faisait son chiffre en diffusant des matchs de championnats étrangers ou de coupes européennes. Ce soir de Remontada chez Mamanto, même les bancs, posés à même le plancher de terre, semblaient luire d’un éclat inhabituel, comme s’ils avaient été astiqués et cirés pour la circonstance, comme s’ils auraient offert ainsi meilleur confort de spectacle aux clients, comme s’il s’était agi d’un soir historique. Dans cet abri de bois décrépit, de claies de palmier, de toiles cirées et de tôles rouillées, l’air chaud était chargé des effluves de sueur et de bière qu’empestaient les quelque cent-cinquante clients qui bondaient la salle.


Il y avait là des supporters du PSG, une vingtaine peut-être, massés tout devant, sur les bancs de tête de l’aile gauche. Il y avait là également des supporters du FC Barcelone, les Bavarlonais comme les surnommaient certains habitués de chez Mamanto. Eux, plus nombreux curieusement, occupaient toute l’aile droite du vidéoclub, maillots bleu et grenat posés en écharpe sur leur torse nu. Leur présence avait tout naturellement attiré les supporters du Real Madrid, les Madrinuls comme on dit là-bas à Abomey-Calavi. Il y avait enfin des passionnés de foot, à priori sans coloration parigote, catalane ou même madrilène, venus chez Mamanto ce soir-là avec l’espérance d’en prendre plein les yeux.

A 2-0 à la mi-temps en faveur du FC Barcelone, la salle n’était plus qu’une soufrière bouillante, grondant sourdement des éclats de la houle des supporters. L’on supputait, l’on accablait l’arbitre, l’on jurait ferme. Le scénario du match avait rendu ce petit monde fou, tout simplement.


A la reprise, le penalty transformé par Messi n’arrangea rien à la frénésie générale. Au chœur des « Allez Barça ! Allez Barça », répondirent quelques timides « Un but, rien qu’un seul ! », lâchés par à-coups par des fans du PSG devenus blêmes d’anxiété. A la 62e minute, la salle gronda une fois encore. Dieu, que la demi-volée au plus-que-parfait de Cavani était belle ! 3-1. Paris, revenu du diable vauvert, semblait enfin tenir sa qualification. Et les bancs de devant avaient retrouvé de la voix. « Dans la sauce, Barcelone dans la sauce ! », tonnèrent-ils à tue-tête.


Au fil des minutes qui suivirent, l’aile droite de la salle n’osait plus trop y croire, peut-être jusqu’à la 88e minute de jeu et ce coup de patte majestueux de Neymar.

Le Brésilien Neymar marque un coup franc à la 88e minute de jeu. 4-1 pour le Barca !

A 4-1, l’espoir renaissait pour les Bavarlonais. Et au jeune brésilien de faire basculer définitivement la fournaise du vidéoclub dans la folie furieuse, en transformant le penalty du 5-1 dans les premières minutes du temps additionnel.


Puis, ce fut cinq minutes d’impatience pour le petit monde de la salle, cinq minutes vécues debout d’un bout à l’autre par les supporters de tous bords. Le vidéoclub était mûr à point pour le bouquet final. Sergi Roberto lui en offrit l’occasion, en plantant le sixième but barcelonais à la toute fin de ce qui parut une éternité d’attente.

La folie furieuse au Camp Nou, après le but vainqueur de Sergi Roberto à la 95e minute

Paris battu par les flots, Paris submergé finalement, au bout du voyage, au bout de l’enfer. Stupeur, embrassades, pleurs et joie…Contraste d’émotions dans le vidéoclub.
« Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Et Paris éliminé… » Implacable vérité de l’histoire, indicible magie de cette soirée de Ligue des Champions, ainsi résumées dans ce tweet gaulliste de Bernard Pivot l’instant d’après.

Ce jour-là, tard dans la nuit, Abomey-Calavi s’emplit du concert de klaxons donné par les badauds émus de cette folie. Et le jour levant accueillit leur musique, gaie comme un requiem pour un Paris brisé.

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